Alexis Guérin, grimpeur passionné et talentueux, nous partage avec grande humilité l’expérience de son accident d’escalade en mars 2020.
L’escalade, c’est une grande partie de ma vie, je m’entraîne beaucoup et je m’investis énormément pour continuer à progresser. L’année passée je faisais mes premiers 8c et je commençais à penser que le 9a n’était plus si loin. Et pourtant…
Alexis Guérin : grimpeur Talentueux
Je suis ingénieur civil géologues et des mines. J’ai réalisé mes études à l’Université de Liège et ma dernière année de master s’est déroulée à Grenoble (France) et à Nottingham (Angleterre) à 1h du Peak District pour les connaisseurs.
Après mes études j’ai commencé par enseigner une année comme professeur de mathématique. En Belgique, la pénurie d’enseignants permet de facilement trouver du travail dans ce domaine. De plus, le métier est relativement intéressant, avec les jeunes on n’a pas vraiment le temps de s’ennuyer, et on ne voit pas les heures passer lorsqu’on enseigne. Et les horaires sont idéaux pour quelqu’un qui désire continuer à s’entraîner.
En Novembre, j’ai été faire un petit pèlerinage au Yosemite, et depuis Décembre 2019 je travaille comme ingénieur géologue pour la direction de la géotechnique au Service Public de Wallonie (SPW).
J’ai commencé l’escalade quand j’avais 6 ans ( aujourd’hui en Mars 2020 j’en ai 26) et je n’ai jamais vraiment arrêté. Même si je n’ai pas un esprit de compétition, j’ai toujours fait de la compétition car c’est un moment où je rencontre tous les potes et c’est aussi l’occasion de se mesurer aux autres et de voir l’évolution de la progression. J’ai fait quelques coupes d’Europe étant jeune mais mes résultats étaient vraiment mauvais.
Mes falaises coup de cœur
C’est dur comme question… j’adore grimper et je trouve que dans chaque voie et dans chaque site il y a quelque chose de bon à retirer. J’aime vraiment le cadre de certains sites et l’ambiance qu’ils prennent à certaines saisons. Le Frankenjura à l’automne c’est vraiment magnifique, pareil pour le Peak District qui offre des scènes de lumières merveilleuses à travers ses vallées érodées.
D’un point de vue style de grimpe, j’adore le vertical et le léger dévers sur petites croûtes. Sentir que tu tiens sur quasi-rien et que seul le parfait équilibre entre pression dans les pieds et traction dans les doigts te fait tenir est un sentiment vraiment agréable. En Belgique, on est gâté, on a Freyr ! Ou sinon, si je devais citer une falaise en France, et pour sortir des clichés comme le Verdon (en fait, j’y ai encore jamais été, honte à moi), j’avais eu un gros coup de cœur pour Roquevaire, près de Marseille. Je n’y ai passé que deux jours mais j’aimerais vraiment y retourner.
En parlant de clichés… j’adore Céuse ! Le caillou est vraiment dingue et le cadre grandiose.
Et même si on y retrouve pas cette finesse du parfait équilibre, bouriner un peu de temps en temps ça fait du bien ! On citera des trucs comme Rodellar pour le gros physique ou le Frankenjura pour bien tirer dans les doigts
Mes voies d’escalades les plus marquantes
- Atlantis à Châteauvert en France. Mon premier dans le niveau 8a, mais surement pas le plus beau.
- Hasta la vista gringo à Berdorf au Luxembourg. Mon premier dans le niveau 8b, et même si c’est un peu taillé, c’est vraiment beau pour le coup.
- Immense et bleu à Céuse en France. Mon premier 8a à vue à Céuse.
- Une arquée pour le criquet ( 8c ) au Fournel en France . Mon deuxième 8c. Enchaîné après 4 jours, et ma plus belle croix à ce jour, car je crois que de toutes les voies que j’ai faite, c’est là que j’ai grimpé le plus à ma limite, et je ne pensais vraiment pas enchaîner ! Je ne sais pas si c’est d’avoir vu Arthur Guinée enchaîner la prophétie des grenouilles (9a) juste avant mais j’ai mis le run parfait, celui où tu es à la limite dans tous les mouvements mais où ta hargne est tellement intense que tu ne lâches rien.
- L’archétype à Céuse en France, une belle rési courte à doigt suivi d’un 7c dalle un peu aléatoire. Le tout couronné par l’enchaînement de l’ami tout le monde juste après, un 8b bien physique.
- Dopamine dans le Zillertal en Autriche, enchaîné au 1er essai après avoir fait un 8b le matin, j’ai été bien surpris par enchaînement, j’ai galéré dans la première montée où j’ai calé les mouvements et puis les astres se sont étonnement bien alignés à l’essai d’après.
- Et puis y’a la Supergrippe un superbe 7a à Freyr… 15 m de chute ça marque non ?
Alexis Guérin, un grimpeur qui comme vous était à l’abri de l’accident, jusqu’au jour où… le samedi 7 mars 2020 vers 13H30.
Le Jour de l’accident d’escalade
La semaine passée, à quelques heures près, je m’apprêtais à prendre une grosse claque. Le genre de claque qui peut vous changer la vie à jamais… ou celle de votre entourage si les circonstances sont vraiment tragiques.
« Non ! Non ! Non ! »
J’entends encore ces mots, ce sont les mots de mon frère. L’intonation de sa voix est surprenante, c’est comme si il savait que j’allais mourir mais qu’il me l’interdisait.
Quand vous prenez 15 m de chute libre au sol, je peux vous assurer que vous vous demandez comment vous êtes encore là! Au moment où vous touchez le sol, vous pensez:
« Suis-je toujours en vie? Suis-je paraplégique? »
Et pendant un moment l’angoisse règne en vous. La même angoisse qui ronge votre entourage, qui a assisté à la chute, et qui pense que vous êtes mort.
« Vous qui me connaissez, vous me voyez, moi, paraplégique? »
Aujourd’hui je ne devrais pas être en train d’écrire, je devrais être entre 4 planches avec mes proches qui pleurent autour d’un trou. Heureusement, le sort en a décidé autrement.
Je ne regrette pas vraiment cet accident, parce que je m’en sors miraculeusement bien, et qu’aujourd’hui j’ai la chance de pouvoir en parler. Si je prends la peine d’écrire à ce sujet c’est parce que cet accident a toujours été inconcevable à mes yeux. Et je pense qu’il l’est aux yeux de beaucoup d’autres personnes.
Les accidents ça arrive
malheureusement plus vite qu’on le croit. Et surtout, quand on s’y attend le moins! Si mon histoire peut toucher, ne fut-ce que 100 personnes, c’est peut-être une personne à qui sans le savoir, je sauverai un jour la vie.
Cela peut vous paraître odieux que je dise que je ne regrette pas mon accident. Mais voilà la raison : je n’accepte simplement pas que quelque chose que je trouve inconcevable, et qui aurait pu être évité, me soit arrivé. Si cet accident a pu avoir lieu, alors il aurait pu avoir lieu à n’importe quel moment dans ma vie et avec des conséquences bien plus tragiques… ça, c’est la loterie qui décide.
On lit souvent que telle personne a eu un accident à cause de telle erreur mais on se sent rarement concerné. J’espère qu’aujourd’hui, mes mots, mon histoire auront la force de toucher les gens qui me lisent, ou au moins mon entourage proche.
C’est généralement une succession de petites erreurs qui vous conduisent à l’accident. Lorsque vous l’analysez après coup, celui-ci parait inévitable. Et pourtant, dans l’action, vous ne voyez rien venir.
Quelle est mon erreur ?
C’est simple: corde trop courte, pas de nœud en bout de corde!
De l’extérieur, une si grosse erreur peut paraître relever de l’insouciance. Pourtant, ceux du milieu de l’escalade doivent se sentir concernés: il suffit d’une fois pour que ça arrive! Vous qui grimpez, n’avez-vous jamais grimpé dehors sans vérifier votre nœud en bout de corde? Je vous l’assure, il suffit d’une fois!
Alors pourquoi est-ce que je pensais que cet accident ne m’arriverait jamais? Premièrement, j’accroche toujours les deux côtés de ma corde à mon sac à corde. Deuxièmement, si un jour ma corde est trop courte pour la voie que je fais, je m’en rendrai compte et je ferai d’autant plus attention.
Le problème de cette démarche, c’est que je n’attachais pas les deux côtés de ma corde au sac à corde pour les bonnes raisons. En fait, je le faisais avant tout pour éviter que des nœuds puissent se faire dans ma corde, et accessoirement pour me protéger au cas où ma corde était trop courte. En général, j’attachais les deux côtés de ma corde au sac à corde avec un simple nœud dont le bout dépassait d’environ 50 cm. Un simple nœud, ce n’est pas suffisant, si vous manquez de chance, il se défait.
Et pourtant, je me suis toujours senti à l’abri du danger !
Le jour de l’accident d’escalade, je n’avais pas fait de nœud du tout, mais j’y reviendrai plus tard.
Le problème de considérer que, le jour où la corde risque d’être trop courte, vous ferez attention, est que vous n’êtes pas dans la tête de votre assureur. En effet, vous ne vous descendez pas vous-même! Et ce qui est clair pour vous ne l’est pas forcément pour la personne qui vous assure. Dans mon cas, ne pas voir que la corde est 15 m trop courte ça peut paraître aberrant. Mais lors de la descente, votre assureur n’a pas toujours ses yeux rivés sur le reste de corde. Elle glisse doucement, puis traverse ses doigts, ensuite le grigri, et là il est déjà trop tard !
Quand vous grimpez depuis votre naissance et que vous avez initié vous-même votre assureur à l’escalade, il peut vous considérer au même titre qu’un client considère son guide de montagne. Dans sa tête il se dit:
« Avec cette personne, rien ne peut m’arriver. »
Pour lui, si je suis parti dans ma voie avec cette corde, c’est forcément qu’elle était assez longue. Et moi, pour éviter l’accident, il m’aurait suffi de faire un nœud en bout de corde.
Alors que s’est-il passé le jour de l’accident ?
Samedi passé, il fait enfin beau en Belgique. Le matin, je prends la peine de mettre ma nouvelle corde (achetée pour mon trip au Yosemite) dans un sac à corde afin qu’elle ne prenne plus la poussière à terre. Après le Yosemite je l’ai utilisée un peu plus pour travailler les voies. Il n’y a rien à faire, une 100 m joker 9.1 mm ça s’use vite. Un bon 10 mm de chez Simond, c’est sûr que ça s’use moins vite.
J’achète toujours des cordes d’au moins 80 m pour du sportif parce que 70 m c’est trop peu. Mais pour aller au Yosemite, 80 m c’était trop, donc j’avais acheté une 70 m.
Pourquoi je vous raconte ça ?
Parce que le jour de l’accident, j’étais persuadé que ma corde était plus longue que ce qu’elle n’est vraiment. Au fond de moi, je sais que ma corde fait 70 m, mais pourtant ce jour-là j’étais persuadé qu’elle en faisait 80. D’ailleurs, en arrivant, j’ai dit à mon frère :
« Si t’as besoin d’une corde tu me le dis, j’ai pris une 100 m et une 80 m. »
Il est 13h, je m’apprête à grimper, j’ouvre mon sac à corde, et je délove ma corde. Je pense au fond de moi:
« C’est bon, tant pis pour cette fois, j’attacherai l’autre bout de la corde au sac à corde en redescendant, ce n’est pas pour une fois. »
Je pars alors m’échauffer dans la Super Grippe, une belle envolée Freyrienne que je connais bien et qui ne peut que vous mettre de bonne humeur. En haut, je discute un peu avec Loic Debry qui me dit que si ma corde fait 80 m j’arriverai jusqu’à la petite vire d’où démarre vraiment la voie. À ce moment, il est clair que j’aurais dû crier à mon assureur de faire un nœud en bout de corde. Mais dans ma tête, le danger est loin :
« C’est bon pas de souci, je peux descendre sans faire de relais intermédiaire. »
De la descente …. à la chute
Je peux vous affirmer que toute ma vie je me souviendrai de cette descente. À un moment, je sens que ma vitesse accélère subitement. Le temps que je comprenne ce qu’il se passe, il est déjà trop tard, je suis à terre.
Je suis conscient au moment de toucher le sol, je me retourne et je vois mon frère courir vers moi. Je l’entends crier :
« Non ! Non ! Non ! »
J’essaye de me relever mais il m’en empêche, je resterai couché sur lui en attendant les secours.
Ma copine me dira plus tard dans la journée que je suis tombé derrière elle et qu’elle n’a pas eu la force de se retourner pour me voir toucher le sol. Dans sa tête, j’étais déjà mort.
Quelques instants plus tôt, tout allait bien. Et pourtant, en une fraction de seconde, mon avenir à failli virer au pire. La vie ne tient qu’à un fil, et en escalade, quand ce fil ne vous tient plus, votre vie relève d’une loterie dont le sort est incertain.
Je m’en sors finalement avec une fracture du calcaneum et une fracture du 5ème métatarse au pied gauche. J’ai aussi des contusions et des points de suture au pied droit, une plaie profonde au coude avec une petite atteinte au tendon du triceps et de grosses contusions dans le bas du dos.
Mes vertèbres ne sont apparemment pas touchées et je pourrai toujours marcher. Autant vous dire que pour une telle chute, je signe à deux mains si l’on me propose de m’en sortir comme ça.
Que mon Expérience serve
Pourquoi ce texte ? Parce que mon histoire, ça pourrait être la vôtre ou celle d’un de vos proches. La vie est fragile et on ne se rend pas toujours compte de l’impact de certaines habitudes. Bien souvent, on ne se sent pas concerné par les accidents… jusqu’à ce qu’ils nous arrivent. Et je peux vous assurer que depuis que je me suis blessé, je n’ai jamais entendu autant de témoignages de personnes à qui pareil accident est arrivé. Non, ça n’arrive pas qu’aux autres !
Il existe des gestes simples en escalade, qui peuvent vous sauver la vie. La prochaine fois que vous grimperez, faites-moi plaisir, adoptez ces petits gestes :
- Vérifiez votre nœud en bout de corde, et faites un vrai nœud, un truc qui ne se défait pas !
- Évitez de commencer quelque chose pendant que vous vous encordez, car c’est la meilleure façon d’oublier de finir votre noeud.
- Double checkez-vous avant de grimper (nœud bien fait, gri-gri bien placé ?)
- Vérifiez bien tout lorsque vous faites votre relais.
- Soyez sûrs que ce que vous pensez est clair pour votre partenaire, vous n’êtes pas dans sa tête.
NB : je tiens à remercier les secours et toutes les personnes qui étaient près de moi au moment de l’accident. Merci pour le soutien et pour l’aide, car évacuer quelqu’un à Freyr, c’est déjà une aventure !
Edit: pour ceux qui veulent aller plus loin, un petit rappel plus complet des règles de sécurité de base sur le site du Club Alpin Belge
3 semaines après l’accident
Je vais déjà beaucoup mieux. Il reste mon pied qui prendra un peu de temps. Mais je n’ai pas eu besoin d’opération, d’ici Septembre je devrais pouvoir remarcher normalement.
Psychologiquement ça va. Je m’en sors très bien et je n’ai pas l’impression d’avoir de séquelles psychologiques de la chute, tout s’est passé trop vite. Et puis il y a beaucoup plus grave à l’heure actuelle. J’ai une grosse pensée pour le personnel médical et pour les personnes touchées par le coronavirus.
Que retiens tu de cette expérience de vie ?
J’ai toujours accepté qu’il puisse m’arriver un accident. Cela fait partie des risques de la vie, et on ne peut pas tout contrôler. Après il faut minimiser les risques et toujours rester prudent. Je pensais être à l’abri de l’accident dû à l’erreur, je me suis trompé. Il faut écouter son instinct et les signes que la vie nous envoi. Pour moi, cet accident est une grosse mise en garde qui me sauve peut-être la vie dans le futur. Et je pense qu’après cette mésaventure je serai beaucoup plus attentif lorsque j’entendrai des histoires d’accident d’escalade.
Veux tu et penses tu regrimper ?
À moins qu’une météorite me tombe sur la tête où que je me casse la gueule en béquille dans mes escaliers. Je pense que d’ici Septembre je serai de retour sur les falaises. Et avec un mental plus fort que jamais !
Deux mois de pluie non-stop en Belgique, et là ça fait dix jours qu’il fait ciel bleu avec un temps froid et une petite brise… les condis parfaites quoi ! Alors oui, là j’ai envie de regrimper, plus que jamais !
Maintenant temps à la rééducation
Point de vue rééducation je vais simplement devoir rééduquer mon pied qui aura été mis 8 semaines en décharge totale. Pour le reste je vais recommencer le sport doucement avec du gainage, des suspensions et des tractions lorsque mon bras droit ne me fera plus mal. Et en attendant, je m’entraîne à tenir en équilibre sur des béquilles… je suis à 18″ après 7 jours d’entrainement… avis aux futurs éclopés!
As tu des appréhensions pour ton retour en falaise ?
Non, je n’ai pas du tout d’appréhension. Le temps que je réalise ce qu’il se passait j’étais déjà à terre. Et je ne suis pas tombé en regardant le sol et en me disant que j’allais mourir, ce qui est une bonne chose. J’aurai peut-être un peu peur en recommençant l’escalade si quelqu’un me descend trop vite, mais je pense que j’arriverai vite à mettre ce mauvais souvenir derrière moi et à le transformer en une force.
Et bien que je faisais déjà attention aux personnes avec qui je grimpais, je redoublerai de prudence dans le futur. ll a par exemple toujours été hors de question que quelqu’un m’assure avec un système non-autobloquant si il n’y a pas une raison qui justifie son usage plutôt que le gri-gri.