Frédéric HEYMES nous raconte son ascension alpinisme et escalade au Glacier Noir dans le massif des Ecrins dans les Alpes. Il nous donne également ses avis sur le matériel.
Le Glacier Noir est un endroit secret du massif des Ecrins dans les Alpes. Lorsque l’on quitte le Pré de Madame Carle pour monter au refuge du Glacier Blanc ou des Ecrins, le regard est capturé par ce vallon mystérieux qui s’ouvre droit devant soi. Les sommets sévères et les grandes faces vertigineuses qui clôturent ce vallon inquiètent, et c’est presque avec soulagement que l’on bifurque à droite pour continuer à marcher sur ce sentier accueillant et ensoleillé qui mène au glacier Blanc.
Ce vallon mystérieux est en fait double : le vallon qui s’ouvre devant soi n’est que l’antichambre du véritable glacier noir que l’on atteint par une traversée malcommode et le passage d’un raidillon scabreux. Là s’ouvre alors la perle des Ecrins, le glacier Noir au pied des grandes faces nord du massif : Pelvoux, Pic sans Nom, Coup de Sabre, Ailefroide.
Ce lieu est l’univers des grandes courses techniques et engagées. Des voies prestigieuses rocheuses ou glaciaires parcourent les faces et arêtes et sont fréquentées en toutes saisons. Il n’y a ni refuge ni abri dans le vallon, le glacier Noir est déserté et seules de rares cordées se partagent cet univers de beauté.
C’est dans ce cadre que nous avons parcouru une belle voie directe menant au sommet principal du Pelvoux : la pointe Puiseux par l’arête nord.
Présentation de la sortie
Date
Le 19 juillet 2016.
Lieu
Sortie au Massif des Ecrins, Hautes Alpes (05)
Transports
Accès au Pré de Madame Carle en voiture (parking payant) ou en navette depuis l’Argentière La Bessée.
Participants
Maël et Frédéric
Ou dormir, ou manger
Il y a de nombreux logements et restaurants dans la vallée, j’apprécie tout particulièrement ceux d’Ailefroide. Ne pas oublier le chalet alpin CAF de l’Eychauda !
Caractéristiques
L’arête nord de la pointe Puiseux est une course rocheuse d’alpinisme en terrain d’aventure. La partie escalade fait 1130 mètres de haut, c’est donc une course très longue. Etant donné son orientation nord ; il faut attendre que le rocher soit sec avant d’entreprendre la course. Malgré cela, il est quasiment inévitable de trouver de la glace dans certains endroits de la voie.
Stratégie
Il n’y a ni refuge ni cabane, et il n’y a pas de descente facile pour revenir sur le glacier Noir récupérer un éventuel bivouac. Globalement, il y a trois solutions :
- Partir directement du Pré de Madame Carle, ce qui ajoute 1000 mètres de dénivelé mais permet d’éviter les problèmes de logistique ;
- Bivouaquer sur le glacier Noir, et parcourir la voie avec le bivouac dans le sac, ce qui ajoute des kilogrammes dans une voie déjà longue ;
- Laisser le bivouac sur place et revenir le chercher le lendemain, en rentabilisant ce trajet par le pic Coolidge par exemple.
Les trois possibilités ont leur intérêt et leurs inconvénients. Peu de cordées envisagent de remonter une seconde fois sur le glacier Noir et choisissent l’une des deux premières solutions. La descente peut se faire par le glacier des Violettes (pratique car cela permet de revenir au Pré de Madame Carle), par le couloir Coolidge (se renseigner sur les conditions avant, risque de chute de pierres) ou les Rochers Rouges (à connaitre pour ne pas se perdre à la descente).
Matériel
Un jeu de coinceurs complet, des sangles ; une corde à simple de 60 mètres suffit. Des crampons pour la descente du glacier des violettes ou le couloir Coolidge. Un piolet peut être utile.
Météo
Nous avons la chance d’avoir un service public météo fantastique en France, consulter le bulletin affiché à Ailefroide ou téléphoner à Météo France (08.99.71.02.05)
Quoi d’autre dans les environs
Bibliographie et lien internet
Guide du Haut-Dauphiné, tome 2 – GHM, François Labande – 2007
Le Massif des Écrins – Les 100 plus belles – Gaston Rébuffat – 1974
Oisans Nouveau Oisans sauvage – Livre Est – Jean-Michel Cambon – 2015
Forum
Récit de l’aventure a Pelvoux
Quand on monte au refuge du glacier Blanc et qu’on se retourne, il est là. Grand, haut, un élan massif mais tout de même aérien. Il me fait penser à une coupe de glace ébréchée au parfum de violette. Le Pelvoux est un sommet majeur dans les Ecrins, il a d’ailleurs donné son nom au massif pendant des dizaines d’années. Du sommet principal, une arête plonge sur plus de 1000 mètres d’abîmes pour prendre racine au glacier Noir.
Etant souvent monté au refuge du glacier Blanc, j’avais repéré cet itinéraire avec beaucoup d’envie. Mais à quel moment je tenterais cet itinéraire, ça je ne le savais pas.
Cet été 2016 a commencé moyennement. Beaucoup de neige, des routes de montagne fermées (éboulements pour La Bérarde, tunnel fermé pour le Lautaret), trop de travail. Après quelques courses pour se remettre dans le bain, il était temps de viser les grands objectifs de l’été. Une belle course à Barre noire, en face sud pour trouver du caillou sec, nous a permis d’observer longuement cette arête nord du Pelvoux. Elle avait l’air en conditions, il faut en profiter ! Les courses en face nord nécessitent de bien considérer les conditions, contrairement aux courses en face sud qui sont généralement sèches en été et ne posent pas de problème (sauf de rimaye éventuellement !).
Définition de la stratégie et de l’objectif au Pelvoux
Au moment de définir la stratégie, le point clé était la forme moyenne de mon compagnon de cordée. Une rédaction de thèse ça épuise ! La course étant longue, il était préférable de s’économiser et dormir au pied de la paroi. Nous choisissons également de porter le bivouac dans le sac à dos pour éviter d’avoir à le récupérer par la suite. Et puisque nous avions de quoi dormir au sommet, pourquoi ne pas s’offrir une belle nuit à quasi quatre mille mètres d’altitude en bivouaquant au sommet ? Ceci nous permettrait d’utiliser la totalité de la journée pour l’escalade et ne pas avoir de pression. Ce fut un excellent choix.
Les sacs préparés avec minutie et avec économie du moindre gramme superflu, nous sommes partis en direction du glacier Noir. J’adore cet endroit, le plus bel endroit du massif des Ecrins selon moi. J’étais heureux à l’idée de dormir là-haut. Nous aurions le temps de bien voir la voie, de nous imprégner du lieu, et d’examiner de futures voies au Pic sans Nom… Après trois heures d’effort nous arrivâmes au pied de la paroi. Le vieux livre de Rébuffat (les 100 plus belles) évoquait un bivouac au pied du Pic sans Nom mais je n‘y croyais pas trop : le glacier a sûrement parcouru une belle distance en cinquante ans et le bivouac de Rebuffat ne doit plus exister. Mais il doit y avoir d’autres emplacements plus récents, à nous de les trouver !
Bivouac durant la course a Pelvoux
Mais nous n’avons rien trouvé et avons commencé un travail de terrassement qui nous a pris une heure. Évacuer les grosses pierres, récupérer du sable et du gravillon sur la moraine pour parvenir à une surface plate qui permet d’envisager un sommeil réparateur. J’imagine que pour beaucoup de monde dormir sur un tas de cailloux ne donne pas envie ! Moi j’étais au paradis, heureux d’être là même si avant une course sérieuse le plaisir est teinté de doutes et de peur. Mille mètres d’arête ce n’est pas rien, et si nous tombons sur des fissures bouchées par la glace, si nous nous perdons ? Je n’imagine même pas notre incertitude si nous n’avions pas les prévisions météo que n’avaient pas les anciens… Le coucher du soleil nous offre un spectacle flamboyant et teinte les faces nord d’une palette de couleurs chaudes malgré le froid qui nous envahit.
Grimpe au glacier Noir a Pelvoux
Le soleil se lève sur le glacier Noir et nous réveille. Vu que nous ne sommes pas pris par le temps, nous avons pris le luxe de nous réveiller à 6 heures du matin. Un vrai luxe ! La nuit a été bonne et nous partons à l’attaque de la voie. Le départ réveille bien avec quelques passages techniques dans le froid du matin. Puis une longue section moins difficile nous permet de nous réchauffer et de gagner de l’altitude rapidement. Tout se passe bien, nous contournons un éperon pour rejoindre un couloir, qui s’avère… rempli de glace ! Un peu inquiet car nous n’avons pas de piolets ou de broches à glace, j’arrive finalement à passer l’obstacle en rive gauche du couloir qui passe avec les chaussons. La suite devient plus technique mais sans difficulté majeure.
Survient le moment où la face se redresse franchement pour devenir verticale et compacte. Cela faisait un bout de temps que nous voyions que la face se redressait en nous demandant comment cela aller passer. Nous voyons le passage décrit dans le topo, mais il est rempli de neige. Une variante plus technique passe directement dans les dalles compactes au-dessus de nous. Maël se lance… et emporte le match avec bravoure. La grimpe n’est pas donnée et la compacité du rocher limite la pose de coinceurs. Seuls de pauvres pitons à peine enfoncés permettent d’avoir l’illusion d’une assurance. Je rejoins Maël en appréciant la qualité de l’escalade, mais avec empathie je me dis que je n’aurais pas apprécié ces longueurs de la même manière en premier de cordée !
L’itinéraire continue avec des voies 5+
La suite de l’itinéraire est moins technique, même si le topo mentionne d’autres longueurs de V+. Le problème crucial devient l’orientation : plus nous montons, et plus l’arête devient une face. L’ensemble est très raide mais le parcours astucieux permet de naviguer dans des difficultés moindres.
Nos copies de topos enchainent un bal d’entrées et de sorties de la poche. Où sommes-nous ? On cherche la rampe évidente, la tour jaunâtre, la rampe suspendue, les rochers raides et blancs. Où est cette fichue grotte ? Une grotte, bon sang, on ne peut pas la louper ! Mais je ne vois rien en tête, je cherche à droite, à gauche, je fais de nombreuses tentatives pour chercher la fichue sangle blanche qui reste introuvable. Finalement, je me dis que cet amas de bloc surplombants au-dessus de moi et qui est déversant, peut-être est-ce cela la grotte ? Avec la croyance d’un athée je poursuis mon escalade suite à ce repère supposé. Je ne vois rien de rassurant, une traversée délicate avec un risque de pendule m’amène soudainement à la sangle blanche qui m’attendait ! Ouf !
Les heures passent et nous continuons à monter. Nous attendons avec impatience le dièdre rouge qui est le dernier passage technique et ne laissera au-dessus de nous que du rocher plus facile mais plus décrit dans le topo. C’est bien long cette histoire, le plaisir d’être là se transforme petit en petit en envie d’en finir.
Au dièdre rouge a Pelvoux
Par un itinéraire astucieux et en faisant une variante plus logique que sur le topo, nous parvenons au dièdre rouge qui est finalement plus facile qu’annoncé. Je me lance en tête et j’apprécie cette grimpe agréable et sans stress, car il y a plusieurs pitons et fissures pour les coinceurs.
Au-dessus de nous, la face reste raide et le topo ne dit plus rien. Nous sommes fatigués et voulons en finir, mais par où ? Rien n’est engageant et la perspective que se retrouver dans du dur ne nous donne franchement pas envie ! Maël enchaine quelques longueurs délicates avant de jeter l’éponge. A moi d’y aller, avec instinct je navigue et je prends soudainement à droite parce que j’espère que c’est là. Je regrette mon choix car je me vois m’engager dans une impasse bornée de murs raides et compacts, j’hésite à faire demi-tour mais je me dis que je dois aller jusqu’au bout de cette possibilité.
Ouf ! Une petite issue facile me permet d’éviter les murs et je me retrouve sur l’arête, je vois l’autre versant et je me réjouis de la fin des difficultés ! Même si l’arête ne semble pas facile elle se parcourt finalement très bien et nous parvenons au sommet du Pelvoux vers 18H.
Au sommet de Pelvoux
J’envisage un instant de profiter des heures de jour devant nous pour rentrer à la voiture et profiter d’un bon repas et d’une bière, car nous n’avons pas grand-chose à manger et plus rien à boire. Mais ce serait trop dommage de ne pas dormir ici.
Il n’y a pas d’emplacement pour s’allonger sans avoir de pointes dans le dos, un nouveau travail de génie civil nous attend. Maël se révèle être d’une efficacité redoutable pour extraire des roches à demi-ensevelies, et à ma grande surprise un bivouac quatre étoiles apparait devant nous (après une bonne heure de labeur tout de même !). L’hôtel mille étoiles et une lune vient d’ouvrir ses portes ! Nous contemplons les nombreux sommets qui nous entourent, parmi eux certainement les projets des années futures. Mais ce sera pour plus tard, pour l’instant nous commençons à faire fondre de la neige pour se réhydrater.
La soirée au sommet Pelvoux
Plus de gaz, peu d’eau, pas de nourriture. Nous avons peut-être été trop ambitieux dans la réduction du poids des sacs. Etonnement, aujourd’hui je me rappelle pas avoir manqué de ces éléments. Je mange de la neige pour garder l’eau pour le lendemain. Le soir qui nous invite fait partie de ces moments merveilleux en montagne : pas de vent, une douceur due à un isotherme élevé, un ciel dégagé. Nous sommes assis sur un belvédère magnifique et sommes heureux.
Les couleurs changent, le soleil se couche petit à petit. Des jaunes chaleureux laissent la place à des rouges profonds puis du bleu lumineux. Une symphonie de couleurs se déroule devant nos yeux et nous n’avons qu’à profiter du spectacle.
Le ciel du couchant laisse place à la voutée étoilée et je regarde les étoiles si nombreuses que j’ai du mal à repérer les constellations. C’est magnifique, tout simplement.
La descente par le glacier des Violettes au Pelvoux
Au réveil nous sommes cueillis par le lever du soleil qui rivalise de beauté avec le coucher. Nous attendons que le soleil nous réchauffe pour enfiler les crampons et commencer la descente. Un petit détour par la pointe Durand permet à Maël de compléter la série des pointes du Pelvoux (Puiseux, Durant, Petit Pelvoux, Trois Dents) et nous engageons la descente. Un cafouillage de cordées qui tirent des rappels n’importe où et n’avancent pas nous énervent un instant avant que nous ne les doublions et retrouvions notre harmonie. Nous choisissons de tirer à gauche pour descendre par le névé des militaires, un choix qui ne nous a pas convaincus par rapport à l’option des vires d’Ailefroide et un petit coup d’auto-stop. Nous revenons au parking payant d’Ailefroide.
Conclusion au Pelvoux
Peut-être que ce récit permettra de comprendre pourquoi la mise en stationnement payant irrite un certain nombre d’alpinistes. L’alpinisme s’inscrit dans une évasion du monde moderne fait d’agendas, de rendez-vous, de règles, d’une organisation indispensable mais qui quadrille la vie de contraintes qui ruinent le bonheur de vivre. Les arguments qui ont gouverné la mise en paiement du parking du Pré de Madame Carle sont bons, mais quelle déception de voir que l’espace de liberté a été grignoté encore un peu par les aménageurs et réglementateurs. A quand une réservation des voies pour éviter une sur-fréquentation ? A quand le permis de grimper pour éviter que des gens mal préparés ne se mettent en difficulté ? A quand des quotas dans le massif pour préserver la nature ? Ces propositions sont toutes bien fondées mais détruisent tout simplement le plaisir d’y aller.
Cette course au Pelvoux était désirée depuis longtemps. Le choix d’y consacrer un peu plus de temps et d’efforts en y faisant deux bivouacs a augmenté le plaisir de la faire. A la fierté d’enchainer des nombreuses courses techniques, la joie simple d’être en montagne l’emporte.
Matériels utilisés pour cette ascension au Glacier Noir
CATÉGORIE | MODÈLE | MARQUE | POURQUOI CE CHOIX ? | SATISFAIT ? | SI C’ÉTAIT À REFAIRE ? |
TAPIS DE SOL | NeoAir Xlite | THERMAREST | Ultraléger | Oui, j’avais peur qu’il ne soit fragile mais après 5 ans il n’est toujours pas percé | Oui, à coupler avec une couverture de survie épaisse tout de même |
CRAMPONS | Air Tech | GRIVEL | Light et solides | Oui | Oui, sans hésiter. Enfin des crampons qui ne pèsent pas trop |
SAC DE COUCHAGE | Swing 900 | VALANDRÉ | Chaud et assez léger | Oui. | Le même |
SURSAC COUCHAGE | Bivy Bag | MILLET | Pas trop cher | Oui, complètement | Peut-être un sursac avec un auvent comme le Black Diamond – Spotlight Bivy |
SAC À DOS | ACT LITE 45+10 SL | DEUTER | Gagné au concours Yeti | Oui, mais un peu lourd, trop sophistiqué | Un sac simple et léger de chez Cilao |
CORDE | Ice Line Dry | BÉAL | Légère et hydrophobe | Fantastique ! Je ne grimpe plus qu’avec ça en montagne | Oui |
COINCEURS | Link Cam | OMEGA PACIFIC | Grande gamme de fissures | J’en ai 2 sur le baudrier qui couvrent toutes les fissures, que j’utilise en dernier pour ne pas être pris de court | Oui, même s’ils sont très chers |
CASQUE | Sirocco | PETZL | Ultra léger | Oui, confortable en plus | Oui |
CHAUSSURES | Super Trident GTX | MILLET | Gagnées au concours Yeti | Oui, précises en grimpe | Oui |
RÉCHAUD | Jetboil titane | MSR | Poids réduit | Oui mais pas la version titane : certaines soudures ont lâché | Oui, la version classique |
VESTE | Target Knit GTX active | EIDER | Gagnée au concours Yeti | Oui, en fait je l’adore ! Elle est souple et très légère | Oui |