Fréderic HEYMES nous partage son expérience de son Expédition au Manaslu à 8163 mètres : « la montagne de l’esprit »
Le Manaslu est une montagne située au Népal, dans la chaîne de l’Himalaya. Avec une altitude de 8 163 mètres, il constitue le huitième plus haut sommet du monde. Il a été gravi pour la première fois en 1956 par les Japonais, dans cette décennie glorieuse qui a vu 13 des 14 sommets être foulés pour la première fois. Aujourd’hui, le Manaslu est régulièrement fréquenté par des expéditions en amateurs ou guidées.
Cependant le Manaslu reste une montagne énigmatique, peu connue et loin des foules de l’Everest, du Cho Oyu ou du Broad Peak. C’est un sommet considéré comme très dangereux car la voie normale est exposée aux chutes de séracs et aux avalanches. Le drame de 2012 où onze personnes ont péri, dont six français, rappelle à quel point la montagne de l’esprit doit être considérée avec beaucoup de prudence.
Informations pratiques pour préparer une Expédition au Manaslu
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A savoir avant de partir
Gravir un 8000 est une entreprise très sérieuse, impliquant des problématiques vitales d’un point de vue météorologique mais surtout du fait de l’altitude élevée. Le Manaslu nécessite de poser un camp d’altitude à 7400 mètres, avec une pression réduite de 65% (il ne reste que 35% de l’oxygène au niveau de la mer) et un froid pouvant descendre à moins 40°C. Pour tenter le sommet il faut y dormir une nuit très éprouvante et se lever en pleine nuit pour monter encore plus haut. Il faut donc une très bonne endurance physique, mentale et bien résister au froid et à l’hypoxie. Il me semble indispensable d’être monté à 7000 mètres auparavant pour se tester à ce genre d’expérience.
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Dates :
avril et mai 2010
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Equipe :
Claude, Raoul, Alain, Eric, Stéphane, Arnaud, Elsie et Frédéric
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Organisation
La première question qui se pose est de décider de partir en groupe guidé ou non, avec oxygène ou sans, avec porteurs d’altitude ou non. C’est un choix très personnel, basé sur son expérience en expédition, sa philosophie de l’alpinisme et sa capacité à endurer de gros efforts. Il semble plus pur de partir en technique alpine, sans porteurs et sans oxygène, mais il faut bien peser chaque chose, car au final ce qui compte c’est de vivre une belle expédition, si possible avec un sommet au bout et non pas une grosse galère pouvant aller aux gelures ou au décès.
La Manaslu se fait généralement sans oxygène. C’est une épreuve difficile pour le corps avec des risques d’œdème, mais possible avec une marge de sécurité correcte en respectant le temps d’acclimatation et en écoutant son corps sans le forcer. Prendre de l’oxygène implique généralement de prendre un porteur d’altitude pour porter les bouteilles.
Les porteurs d’altitude, appelés communément (mais à tort) sherpas, augmentent considérablement les chances de succès. Leur aide est précieuse pour ne pas s’épuiser par les nombreux et lourds portages, ils sont compétents pour poser des cordes fixes et sont d’un dévouement admirable. En cas de situation délicate en haute altitude, leur résistance naturelle à l’hypoxie est un atout pour espérer descendre une personne en difficulté. Enfin, si dans le groupe à l’assaut du sommet une personne se voit obligée de redescendre, la présence d’un sherpa évitera de sacrifier le sommet pour celui qui l’accompagnera. Le salaire d’un sherpa dépend de son expérience et des conditions dans lesquelles il est embauché, en gros de l’ordre de 2000€.
Une grosse expérience est indispensable pour avoir une chance de réussir le sommet.
Pour prendre les bonnes décisions bien sûr, mais aussi pour ne pas renoncer trop vite ! Dans des conditions extrêmes telles que celles d’un 8000, on se convainc très facilement qu’il est grand temps de faire demi-tour pour redescendre à la sécurité du camp de base. Persévérer dans l’effort considérable qui permet d’arriver au sommet nécessite de savoir évaluer au plus juste la situation réelle, entre la fatigue extrême normale à cette altitude et la fatigue extrême qui se situe au-delà de la ligne rouge. Personne n’arrive au sommet d’un 8000 en sifflotant !
Plusieurs agences françaises proposent des expéditions guidées, par exemple celle de Paulo Grobel, Allibert , Montagne Evasion ou Expes.com qui a eu de nombreux succès sur les 8000.
Pour organiser l’expédition en amateurs, de nombreuses agences népalaises gèrent toute la logistique jusqu’au camp de base et proposent sherpas, oxygène et guides d’altitude. Par exemple Monte Rosa, Thamserku, Asian Trekking, Bochi Bochi. Il semble difficile de débourser moins de 6000 € pour une expédition en amateurs, et le double pour une expédition guidée.
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Avion et transports jusqu’au départ du trek
Katmandou est une destination très bien desservie par les compagnies aériennes. C’est le paradis du trekking et les avions déversent des cargaisons entières d’amoureux de la nature à chaque atterrissage ! Il est possible de trouver des billets Paris-Katmandou à 600€ AR. Attention, il est quasi impossible d’emmener tout le matériel nécessaire pour l’expédition avec un unique bagage de soute à 23 kg ! Il faut négocier un surplus avec la compagnie aérienne bien avant le départ ou envoyer du matériel en fret aérien. Attention aux droits de douanes du fret à l’entrée du pays…
A Katmandou les taxis, rickshaw et bus ne manquent pas, ainsi que les hôtels et restaurants bon marché et de qualité. Il faut faire attention aux règles habituelles d’hygiène pour ne pas commencer son expé avec une tourista malvenue ! Des bus permettent d’aller à Arughat qui est le point de départ du trek. Mais à moins de partir sans agence du tout, il est peu probable de devoir s’occuper soi-même du transport vers Arughat. Il faut compter une journée de bus, dépendant des conditions de boue de la piste qui s’enfonce vers le massif du Manaslu. Il n’est pas rare que le bus soit totalement bloqué dans des ornières boueuses profondes et qu’il faille chercher un plan B pour rallier Arughat. L’aventure peut commencer très tôt…
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Trekking le Tour du Manaslu
Le tour du Manaslu (long de 177 kilomètres) est un trek de plus en plus populaire, avec des durées variables pouvant aller jusqu’à 15 jours. Il s’agit de remonter la rivière Budhi Gandaki jusqu’au col de Larkya (5100 mètres), puis redescendre vers Besisahar par la Dudh Khola puis la Marsyangdi Khola (section qui fait partie du tour des Annapurnas). Les villages sont authentiques et les lodges suffisants. Les paysages sont variés et les habitants encore peu influencés par le tourisme de masse. Les villages de Samagaon, Samdo sont tibétains et des nomades tibétains campent encore là vers la frontière avec le Tibet.
Pour le Manaslu il faut s’arrêter à Samagaon, puis quitter le trek pour monter vers le camp de base par un bon sentier. En fin d’expé le retour peut se faire en chemin inverse ou en continuant vers le col de Larkya et finir le tour du Manaslu, ce qui permet d’en voir la belle face ouest.
Le matériel sera acheminé préférentiellement par mules, avec un complément assuré par des porteurs. Ils ne passent pas le col de Larkya au retour, il faut donc anticiper cela avec l’agence. Le transport des charges depuis Samagaon jusqu’au camp de base est réalisé par les habitants de Samagaon, ce qui leur assure du travail et une rentrée d’argent importante. Pour une grosse expédition il peut y avoir plus de 50 porteurs à recruter… heureusement Samagaon est un village de taille suffisante.
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Ascension du Manaslu 8163 mètres
Il y a plusieurs stratégies pour gravir le Manaslu. La stratégie habituelle compte 4 camps d’altitude, placés dans des endroits si possible abrités des avalanches. Ces camps sont à 5700, 6300, 6700 et 7400 mètres. Les camps sont montés progressivement avec des redescentes au camp de base pour se reposer. Il y a donc de nombreux aller-retour entre les camps et le camp de base.
Une autre stratégie, appelée stratégie de l’escargot, consiste à monter chaque jour d’un dénivelé assez limité, sans redescendre au camp de base. Il y a donc moins de cumul d’effort mais un cumul de nuits en altitude plus important. Cette stratégie se fait mieux avec des sherpas car il faut prévoir de nombreux repas en altitude et donc du poids. Cette stratégie est fréquemment employée par Paulo Grobel. De nombreuses explications sont données sur son site web.
Une dernière stratégie, très peu choisie, consiste à s’acclimater sans monter trop haut et de tenter le sommet d’une traite et assez rapidement. L’idée est de passer le moins de temps possible en altitude, c’est-à-dire éviter les nuits à 6700 et 7400 mètres, pour ne pas épuiser son corps. C’est une stratégie engagée et risquée, médiatisée par Eric Escoffier.
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Quelques informations techniques de l’ascension, et sur l’emplacement des camps :
- Camp de Base : entre 4800m et 4950m, sur la moraine. Le camp de base est très souvent enneigé.
- De Camp de Base à Camp 1, pas de difficulté technique, crevasses. Il est facile d’installer d’autres camps entre CB et C1, par exemple, au col à 5400 m. L’itinéraire suit d’abord un terrain morainique avant d’atteindre le glacier par un court passage rocheux. Un parcours neigeux peu difficile mais crevassé par endroit permet d’atteindre le camp 1, à 5700 mètres d’altitude. Attention aux avalanches venant des pentes à main droite.
- C1 : 5650m / 5700m. Emplacement assez plat et sûr, mais exposé au vent.
- De C1 et C2, traversée à plat sous des séracs expo sur 50/100 m puis sections raides (35°), courts ressauts plus raides. Quelques grosses crevasses. l’itinéraire devient plus raide et conduit au pied d’une partie technique, une zone de séracs devenue beaucoup moins exposée que par le passé. Une pente à 40° équipée de cordes fixes mène au camp 2 à 6300 mètres d’altitude. Il est difficile de placer d’autres camps entre C1 et C2.
- C2 : entre 6300m et 6400m (suivant emplacement). Grands champs de neige, attention aux crevasses.
- Entre C2 et C3, pas de difficulté technique. Le risque le plus élevé vient de la possibilité de se perdre en cas de visibilité nulle. Il est facile d’installer d’autres camps entre C2 et C3.
- C3 : 6700m. C’est un endroit stratégique étant donné les nombreux séracs situés au-dessus. Le problème est qu’il y a peu d’endroits vraiment protégés, à part sous quelques petits séracs et le col à droite (exposé au vent). En cas de forte population au camp il est difficile de ne pas se retrouver sous les séracs et les pentes avalancheuses, voir la catastrophe de 2012.
- De C3 à C4, c’est une section exposée aux avalanches de neige et de séracs. Il y a deux possibilités. Soit prendre droit dans la pente, à 30/35° avec un ressaut à 70° (à équiper en cordes fixes), soit utiliser une rampe naturelle qui va de gauche à droite et évite les ressauts raides. Pour rejoindre cette rampe il faut faire un vaste mouvement en arc de cercle vers la gauche puis retour vers la droite pour contourner les passages raides de la voie directe et rejoindre le début de la rampe (30°). A la sortie de la rampe (directe ou non), la voie débouche sur le plateau sommital et le cadavre japonais qui indique qu’il faut prendre à droite. Après une courte traversée à plat (mais souvent en glace bleue, ne pas oublier des broches au cas où!), arrivée au camp 4, généralement dévasté par le vent. Pas d’emplacements de camp possible entre 6700 et 7400 m.
- C4 : 7400 m. Emplacement vaste et sûr, exposé au vent. Un endroit inhospitalier, avec des ruines de tentes et autres…
- Pas de difficulté technique entre C4 et sommet sauf les 50 derniers mètres. Prendre une corde pour les 50 derniers m. Il est possible d’installer un camp entre C4 et le sommet. Le sommet est une arête assez effilée mais pas difficile. Penser à monter des bambous pour baliser les environs du camp 4 car si le sommet est pris dans les nuages, il peut être difficile de se repérer sur le plateau sommital et retrouver le camp 4. L’histoire de Messner illustre tragiquement ce risque.
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Bibliographie
« La magie des huit mille, Les quatorze sommets les plus hauts de la Terre » de Marco Bianchi (2009), National Geographic Editions, ISBN 2845823002
« All Fourteen 8,000ers » de Reinhold Messner, (1999), Mountaineers Books, ISBN 0-89886-660-X
« The Ascent of Manaslu: Climbing the world’s eighth highest mountain » de Mark Horrell (2013), Mountain Footsteps Editions
Vous trouverez plein d’informations sur le Népal avec le guide de voyage Lonely Planet.
« The ascent of Manaslu » de Yuko Maki, T. Imanishi (1957), Himalayan Journal, no 20, 1957.
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Sites web
http://www.paulo-grobel.com/05_expes/Fiches_PDF/FT_projet_manaslu.htm
http://www.expe-manaslu.fr/
Expédition au Manaslu 8163 mètres ou « la montagne de l’esprit »
8000 mètres…. Une altitude mythique, un mélange de crainte et de défi, qui s’associe immédiatement aux grands noms de l’alpinisme et aux grandes aventures telles que celle de Maurice Herzog ou Reinhold Messner. C’est aussi la zone de la mort, l’hypoxie, les gelures, les disparus… Partir pour un 8000 est une idée folle et comment ne pas douter de sa capacité pour affronter un projet de cette ampleur ?
Est-ce que je suis capable de faire cela ? Je ne me sens ni Messner, ni Bonatti, je ne suis pas capable de passer une nuit à 8000 mètres perdu dans le blizzard en cherchant ma tente… ou tomber dans une crevasse comme Joe Simpson… et qui peut me dire que cela ne m’arrivera pas ?
Il y a presque un an, j’étais tombé sur une proposition d’expédition sur camp to camp. C’était très tentant… Le Manaslu, c’est un beau nom. Cela signifie la montagne de l’esprit. En cherchant des infos je m’étais rendu compte que ce sommet n’est pas très technique mais par contre très dangereux. Oups… enfin bon, un 8000 non dangereux ça n’existe pas. J’avais pris le temps de peser le pour et le contre… J’avais assez confiance en moi, avec quatre expéditions au compteur. J’avais affronté le froid polaire au McKinley, en solo (mes compagnons ayant décidé de rentrer), seul pour affronter les attaques du froid mais surtout du doute. J’étais monté à 6600 mètres au Kun, cela allait plutôt pas mal. Mais quand même… le Manaslu c’est 1500 mètres plus haut !
Une réunion nous avait permis de nous rencontrer. 8 personnes, avec des expériences plus ou moins grandes. Le plus expérimenté était Claude, avec deux 8000 au compteur. Nono et Stéphane étaient aussi montés à plus de 8000 mètres, et tous les autres étaient au moins montés à plus de 6000 mètres. Une belle équipe. Une fois le billet d’avion acheté il n’était plus besoin d’hésiter. Il fallait se préparer et rêver du sommet !
Cinquième jour de trekking. Nous sommes à Samagaon, dernier village avant la montée pour le camp de base du Manaslu. Nous avons appris à nous connaitre, à adapter nos tempérament différents. Le trekking a été magnifique, à la hauteur de sa réputation. Ponts de singe, magnifiques villages en pierre d’architecture Gurkha, le sourire et le regard des Népalais, les chemins en encorbellement, la végétation qui évolue au fil des pas, passant d’une ambiance tropicale (bananiers, singes) à une végétation d’altitude plus austère. Faire un trekking au Népal est un voyage magnifique qui se suffit à lui-même et remplirait largement un roadbook ! Mais quand le trekking prend le nom de marche d’approche, un élément central devient l’objet de cette approche. Le sommet…
Aujourd’hui nous devrions voir le sommet pour la première fois. Cela fait trois jours que le temps est couvert et qu’il se refuse à nous, je suis tellement impatient de le voir en vrai ! J’ai vu tellement de photos de lui, pendant cette année qui a été nécessaire pour organiser l’expédition. J’ai besoin de le voir de mes yeux pour réaliser sa taille, ressentir ce qu’il dégage de puissance et de majesté.
Cela fait maintenant deux heures que nous montons en direction du camp de base. Les mules ont été remplacées par les habitants souriants de Samagaon. On en a recruté une soixantaine, majoritairement des femmes car les hommes sont partis pour trouver du travail. Il y a une telle différence entre ces Népalais qui vivent avec peu de choses au bout d’une vallée isolée et ces occidentaux qui s’amusent à venir grimper des montagnes à l’autre bout du monde. Et, ici sur ce chemin, il n’y a aucune distance relationnelle avec eux. Nous sommes tous des simples humains habillés différemment, les enfants nous prennent la main, une vieille femme me demande de lui porter son sac de pique-nique, Raoul met de la crème solaire sur les joues d’un très jeune enfant que sa mère porte avec elle pour monter au camp de base. Je prête mon parapluie à une jeune népalaise qui me joue un remake de Marie Poppins, enfin peut-on parler de remake puisqu’elle n’a en a probablement jamais entendu parler?
Au détour d’un virage il apparait. Je m’arrête. Sa blancheur éclatante me fait penser qu’il a dû pas mal neiger ces derniers temps. J’espère qu’on n’aura pas à brasser dans un mètre de neige là-haut… je suis frappé par les énormes séracs sous le plateau supérieur, et par la partie basse de la montagne qui est très chaotique. J’espère que ça va passer sans passages trop scabreux !
Le matériel est déposé par les porteurs et nous commençons à monter les tentes ainsi que les tentes mess. Pendant ces 4 semaines où nous allons rester au camp de base, il est important de pouvoir se sentir bien pour se reposer, donc manger assis et à l’abri du vent. Et aussi passer du temps ensemble pour discuter, rire, se détendre et échafauder la stratégie qui devra nous mener au sommet.
Une équipe Népalaise va rester avec nous au camp de base. Gyalzen est notre cuisiner, c’est une personne formidable qui va nous épauler à chaque difficulté logistique. Il gère les stocks de nourriture, veille à notre bien-être et se lance même dans des aventures culinaires. Nous n’oublierons jamais la fameuse recette qui nous a animé une belle soirée à se demander ce que pouvions bien manger, ce qui étant annoncé comme de la « pankite » qui n’était autre que de la blanquette de veau, enfin… quelque chose qui y ressemble de loin. Ou ce malheureux poulet aux épices sans doute délicieux, mais si douloureux à porter aux lèvres en redescendant des camps supérieurs les lèvres ouvertes par le vent et le froid !
Gyalzen était aidé de trois aides de cuisine, dévoués et de bonne humeur. Il faut imaginer leurs conditions de travail, sur la moraine enneigé du camp de base, à cuisiner dans une tente avec des réchauds à kérosène et de la neige à faire fondre pour avoir de l’eau ! Le mystère de la pizza que nous avons pu déguster un soir restera entier…
Nous allons rencontrer les autres expéditions sur place afin de collecter des informations sur les conditions en montagne. Nous apprenons que quelques jours avant notre arrivée une équipe coréenne a eu de la casse en tentant le sommet. Deux membres sont portés disparus, trois autres ont des gelures graves du second degré. Personne ne sait ce qui s’est passé car les coréens ont été héliportés à Katmandou et ont abandonné leur matériel en altitude. Il semblerait que les coréens ont tenté le sommet dans une fenêtre météo courte et ont choisi de tenter le sommet depuis le camp 3. Ceux qui ont pu descendre au camp 2 ont été héliportés dans un état d’épuisement avancé. Nous saurons par la suite que les coréens disposaient d’oxygène et avaient l’aide de quatre sherpas.
Au fait… quelle logistique avions-nous choisi ? La plus pure à nos yeux, c’est-à-dire sans guides, sans porteurs d’altitude et sans oxygène. Tant pis si c’est à la dure que nous allons devoir gravir ce sommet. Cette décision a tout de suite emporté l’adhésion de tous, nous ferons donc le Manaslu en alpinistes autonomes. Le drame des coréens suscite une longue discussion au camp de base. Comment jauger le risque d’aller là-haut ? Allons-nous suivre l’exemple des Coréens ? Peut-on dire qu’ils n’ont pas eu de chance ? Peut-on considérer que nous sommes meilleurs qu’eux ? Personne ne peut répondre à cette question. L’expérience de chacun parle, ceux qui ont déjà été à plus de 8000 mètres sont écoutés avec attention. Les Coréens ont tenté un pari osé, bien que réaliste du fait de l’oxygène et des sherpas. Mais ils ont probablement dépassé la ligne de sauvegarde et tous ne sont pas revenus.
La première phase peut commencer. Il s’agit de monter les camps d’altitude l’un après l’autre, ce qui nous permet de nous acclimater pendant cette phase de logistique. C’est un effort important, mais nous avons le temps de monter doucement le matériel en nous reposant entre chaque montée. Camp 1, redescente au CB, montée au camp 1, montée au camp 2, redescente, montée au camp 2, montée au camp 3, redescente. Cette période d’acclimatation nous prendra deux semaines et nous aurons passé 5 nuits au-dessus du camp de base.
En tant que « médecin » de l’expédition, je vérifie régulièrement la saturation en oxygène du sang de l’équipe. Cela peut permettre de détecter une situation de souffrance du corps si le taux est très bas. A haute altitude, ce taux peut descendre très bas, à 60% de saturation seulement ! Je n’ai pas de formation médicale, mais en l’absence de vrai médecin, j’ai pris à cœur de constituer la trousse médicale et d’apprendre quelques rudiments médicaux. L’essentiel ! Points de suture, médication de base, injections intramusculaires en cas d’urgence. Le livre d’Emmanuel Cauchy est mon meilleur conseiller pour ce rôle délicat !
Entretemps, toutes les autres expéditions sont parties. Nous voilà seuls sur la montagne. Quel luxe ! Nous avons le Manaslu pour nous seuls, en totale autonomie, c’est incroyable ! Mais aussi, nous ne pourrons compter sur personne pour nous secourir ou aider à faire la trace. Heureusement que nous sommes sept, cela donne une certaine puissance pour affronter la montagne. Le huitième équipier de notre expédition a dû être héliporté car il s’est gelé les doigts lors de notre nuit au camp 3. Attention aux gelures !!! Boire, surveiller ses extrémités, ne pas transpirer dans la montée, se couvrir davantage au besoin. Chaque erreur peut couter une phalange !
Grande déception, les autres expéditions ont laissé leurs ordures dans les camps d’altitude. Nous prenons la peine de ramasser tout ce que nous pouvons dégager de la neige. Quelle tristesse ! Nous remplissons un sac de jute entier au camp de base. Gyalzen est surpris et un peu dépité. Il a bien compris que notre objectif est de descendre les ordures des autres expéditions à Samagaon, et qu’il va falloir embaucher un porteur pour cela. C’est un coût supplémentaire et nous proposons de payer pour ce porteur. Il refuse et dit qu’il va prendre cela en charge. Ces ordures ont surement fini quelque part à Samagaon. Les ordures posent problème au Népal comme dans tout pays au monde : on ne sait pas quoi en faire. Elles ne sont pas traitées à Katmandou, souvent il y a de la récupération et souvent aussi elles finissent dans un coin de nature.
Nous sommes prêts à nous lancer vers le sommet. Notre stratégie est décidée : rallier le camp 1, puis le camp 3, monter le camp 4 en ayant récupéré le camp 2, et tenter le sommet. Puis il faudra à nouveau dormir au camp 3 et descendre tout le matériel.
L’attente du bon créneau météo est un mélange complexe d’envie, de crainte et d’espoir. Il faut espérer un bon créneau météo, qui peut très bien ne pas se produire, et espérer que tout se passe bien. Envie d’y aller aussi, car tout est prêt pour affronter le plateau sommital, dépasser les 7500 mètres, se confronter à la très haute altitude. Notre vie est rythmée par les bulletins météo, les repas et les lectures, tranquillement allongés dans les douillets sacs de couchage. Les prévisions météo annoncent un créneau favorable, il faut y aller maintenant !
Une première tentative échouera, car il neigera pendant la nuit un mètre de neige au camp 1. Il faudra attendre que la neige se stabilise, heureusement cela va plus vite en Himalaya où le soleil du tropique du cancer tape fort en journée et les nuits toujours glaciales transforment vite la neige.
Deuxième chance, un nouveau créneau météo se dessine. C’est la dernière possibilité. Si nous échouons il n’y aura pas de nouveau créneau météo ; le temps passe et il faudra démonter le camp de base pour rentrer en France. Nous partons gagner le camp 1 pour y passer la première nuit de notre long périple vers le sommet.
L’acclimatation joue son rôle et nous montons en altitude beaucoup plus facilement qu’il y a trois semaines. Trois semaines que nous sommes sur cette montagne ! Malheureusement les importantes chutes de neige récentes nous obligent à tracer jusqu’aux genoux et cela nous épuise. La nuit au camp 1 se passe sans problème et nous montons au camp 3 après avoir démonté le camp 2. Celui-ci nous servira pour monter le camp 4.
Le lendemain, la lutte pour le camp 4 commence. Nous nous enfonçons encore beaucoup, et l’altitude nous coupe les jambes. Chaque pas est un effort titanesque, nous entreprenons de tracer en relais. Chacun se force à faire dix pas, l’un après l’autre, en respirant de nombreuses fois à chaque nouveau pas. Puis c’est la libération, se mettre sur le côté de la trace et laisser le suivant prendre le relais. Se contenter de marcher dans les traces, derrière 6 autres personnes, c’est tellement moins difficile. Et peu à peu, la position revient vers l’avant du groupe, les traces de pas deviennent moins fermes, et c’est le retour devant le groupe, à affronter cette neige qui ne porte pas. Heureusement il y a moins de neige à cette altitude, nous ne nous enfonçons plus que d’une trentaine de centimètres.
Le temps se couvre et nous sommes épuisés. Grand moment de doute, l’échec vient pointer son nez. Les pentes sont plus raides, nous craignons une avalanche. Il est déjà très tard et nous ne savons pas si le camp 4 est encore loin. C’est à ce moment-là que s’est décidé le sommet.
Elsie décide de poursuivre en traversant le couloir et découvre un reste de corde fixe. Nous sommes sur le bon chemin ! Cela nous redonne la force de continuer vers le camp 4. Nous remontons la pente et parvenons au cadavre japonais qui nous indique de prendre à droite. Nous ne sommes plus loin. Je jette un regard rapide au Japonais. Je n’ai pas vraiment envie de le regarder, c’est macabre. De plus, la fatigue et l’envie d’arriver me poussent à continuer mon chemin sans m’attarder.
Nous découvrons les tentes abimées des Coréens. Elles sont néanmoins debout, nous décidons de ne pas monter les nôtres et de profiter de ces 3 pauvres tentes essayant de résister aux vents de haute altitude. Cet endroit est étrange… c’est un plateau dominant toutes les autres montagnes environnantes. C’est comme si nous flottions au-dessus du monde dans un endroit inhospitalier ou l’homme n’a pas sa place. Je me dis qu’avec un grand vent ça doit être l’enfer ici. Et si loin du camp de base… nous sommes quasiment 3000 mètres au-dessus du camp de base, autant dire qu’il ne serait pas facile d’y redescendre rapidement ! Nous sommes sur terre et en même temps, isolés dans ce coin de ciel. L’engagement prend un sens profond ici.
Nous nous réfugions dans celles-ci après de nombreux efforts pour casser la glace dans les tentes. La nuit flotte entre rêve et la réalité, nous sommes blottis dans nos sacs fermés au maximum pour garder un maximum de chaleur. Des astronautes dans leur capsule spatiale. Pourvu que je n’aie pas de besoin pressant pendant la nuit !
Au matin, l’extraction du sac est un moment difficile. S’habiller, mettre ses chaussures, faire chauffer de l’eau pour se réchauffer en prenant un café. Il est temps de partir ! La nuit est claire, il fait très froid. Je n’ai pas mal à la tête, je n’ai pas envie de vomir, pas de symptôme particulier. Nous partons vers le sommet.
Le rythme est extrêmement lent. Un pas, cinq respirations, un pas. Impossible d’aller plus vite. Nous sommes épuisés par l’hypoxie. Heureusement, il n’y a presque pas de vent. Ma lucidité diminue rapidement, je réfléchis au ralenti. Je ne comprends plus ce qui se passe, j’interprète des signes de manière erronée. Je me persuade qu’on va faire demi-tour, il est trop… je ne sais pas en fait ce qui est trop. Je ne sais pas pourquoi on devrait faire demi-tour mais je suis persuadé qu’on va faire demi-tour. Je me dis que c’est l’échec.
Devant moi, quelques membres de l’expé continuent devant moi, je me dis qu’ils font ça pour aller voir avant de rebrousser chemin. Je les suis, en me disant que c’est inutile d’aller voir si loin, autant faire demi-tour tout de suite ! Mais tant qu’ils continuent, je continue. Je suis incapable de dire où est chacun d’entre nous, j’ai une perception très réduite de la situation réelle. Mes pensées papillonnent, je pense à ce qu’on va manger en rentrant au camp de base, au couloir qu’il va falloir retrouver en descendant, au poids des sacs en descendant. Je me serais bien battu pour ce sommet que je n’attendrais pas…
Finalement, je réalise que le sommet n’est plus très loin. Et si on y arrivait en fin de compte ? Cela me redonne des ailes. Je vais y arriver, plus que quelques pas… exténuants. Je vois quelqu’un au sommet, si proche… et c’est le sommet !
Il n’y plus rien à monter, je m’assois sur la neige. Je regarde devant moi l’étendue de l’Himalaya. Je vois le plateau tibétain, ainsi que la vallée par laquelle nous sommes montés pour venir au camp de base. Je suis heureux d’être au sommet, mais surtout que tout se soit bien passé. Pas de tempête en vue, je me sens bien, épuisé mais sans problème particulier. Au moment de redescendre, j’ai un flash ! Mais oui, prendre une photo ! J’ai failli oublier !
Nous revenons au camp 4, en trouvant un cadavre coréen. Je n’y prête pas attention, mon objectif prioritaire est de retourner dans mon sac de couchage, au chaud, et préparer de l’eau pour nous réhydrater. La suite est un trou noir, je m’endors dans mon sac de couchage et je me réveillerai au lendemain. La descente se fera dans le jour blanc et nous retrouverons le camp 3 grâce au GPS, avant une descente exténuante avec les camps dans le sac ainsi que nos déchets.
Avec le recul, je crois que là-haut j’ai revécu notre échec l’année précédente au Kun, en Inde. Nous n’étions plus que deux à 6600 mètres et mon compagnon avait voulu faire demi-tour. Je pensais que expérience avait été digérée, mais elle a ressurgi sur le plateau sommital, dans un état de conscience réduite.
Quand je marchais sur le plateau sommital, à la descente, j’avais quasiment oublié l’existence de mes compagnons. Ma conscience était tellement réduite que je ne percevais que des bribes de la réalité. Et mon esprit était à la merci de ce qui pouvait ressurgir de ma mémoire ! C’est déroutant… c’est pour cela qu’il faut une bonne expérience préalable, car l’expérience accumulée peut prendre le relais sur un intellect déficient à cause de l’hypoxie.
Cette expérience sur le Manaslu est un vrai trésor en moi. C’est vrai qu’avec le temps, les détails se sont estompés. Mais ce qui est indélébile, c’est l’ampleur du projet, c’est d’avoir nourri un rêve et d’avoir pu le vivre. D’avoir osé croire en un projet ambitieux et de l’avoir réussi en équipe. J’ai le sentiment d’avoir vécu des choses très intenses et d’avoir réussi quelque chose. Comme Elsie, Nono, Stéphane, Claude, Alain et Eric, nous partagons tous cette réussite. C’était une fantastique expérience de vie, la montagne n’a été qu’un support pour réaliser cela. Je remercie tous mes compagnons pour cette magnifique expérience.
3ème partie. Equipement
Beaucoup de matériel pour gravir un 8000 !! Dur de faire la liste exhaustive du matériel et pour 8 personnes. Voici donc ce qui me semble le plus pertinent à dire.
Catégorie | Modèle | Marque | Pourquoi ce choix ? | Satisfait ? | Si c’était à refaire ? |
Tente | VE25 | The North Face | Une valeur sûre, très spacieuse et résistante | Oui, malgré le poids conséquent. C’est ma tente de camp 1 et 2 | Oui |
Monster | Ferrino | Ultralight | Oui. Il vaut mieux espérer ne pas être dans une tempête de neige cependant | Oui | |
Power Odyssée | Vaude | Pas très chère et assez light | Il manque vraiment une deuxième ouverture | Non | |
Corde | Twin Ice | Béal | Light et souple | Oui, une très bonne corde | Oui |
Crampons | Air Tech | Grivel | Light et solides | Oui | Oui, sans hésiter. Enfin des crampons qui ne pèsent pas trop |
Sac de couchage | Down 400 | Mountain Hard Wear | J’avais une grosse réduction dessus | Oui, sac chaud et solide. Un peu lourd. | Du duvet, chez Valandré par exemple |
Sac de couchage | Swig 900 | Valandré | Léger et solide | Oui, très satisfait | Oui |
Chaussures | Everest | Millet | Incontournables, chaudes et résistantes. Le must ! | Elles arrivent à leur fin après 10 ans d’expé | Idem, les nouveaux modèles compensent les petits défauts du modèle de 2004. |
Sac à dos | Expedition | Millet | Léger et très grand | On m’avait dit que ce n’était pas solide… après des centaines de kg transportés tjrs aucun problème | Oui très clairement |
Tapis de sol | Prolite plus | Thermarest | Light | J’ai eu du mal à m’y faire mais maintenant je l’adore | Oui |
Frontale | Ultrabelt | Petzl | Light et puissante | Oui | Je prendrai peut être un modèle un peu plus puissant (type myo rxp) pour mieux trouver ma route entre les crevasses. |
Réchaud | Réactor 1.7L | MSR | Efficace, attention au monoxyde de carbone ! | Un must. Imbattable pour faire fondre beaucoup de neige. | Oui |
Casque | Meteor 3 | Petzl | Light | Pas mal de chocs et toujours beau | Oui |
Doudoune | Bering | Valandré | Oui, ma veste pour les grands froids ! La poche intérieure est appréciable pour garder des choses au chaud | Un peu fragile mais chaud, oui | Oui |
Doudoune | Kiruna | Valandré | Chaude, un bonne veste de camp de base | Oui | Oui, elle me sert aussi dans les Alpes. |
Piolet | Air Tech | Grivel | Light, une référence. Assez technique quand même. | Oui | Oui, je m’en sers aussi dans les Alpes |
Piolet | Corsa Nanotech | Camp | Light, peu convaincant en neige dure ou glace. | Oui | Oui car me sert en ski de rando |
Baudrier | Couloir | Black Diamond | Light | Oui, pour une expé | Oui |
Lunettes | Evil Eye Explorer | Adidas | Confortable | Géniales mais chères | Oui |
Drap de sac | Thermolite Drap | Sea to Summit | Light | Oui, bien confortable | Oui |
Panneau solaire | 26W | Bruton | Un peu lourd | Les nouveaux panneaux sont plus efficaces | |
Batterie | MP3450 | Tekkeon | Indispensable pour charger | Oui, tjrs pas de pbme de charge après 8 ans d’utilisation | Oui |
ARVA | Pulse Barryvox | Mammut | Une valeur sûre | Oui | Oui |
Pelle | Beast | Ortovox | Solide | Oui, je préfère les pelles métal | Oui |
1 commentaire
Magnifique récit.
Une expérience irréelle qui doit presque tenir de la folie…