Ingrid Ulrich nous raconte son expédition de 600 kms en stand up paddle de la Méditerranée à l’océan atlantique en passant par Toulouse, Bordeaux..
Informations pour préparer une expédition en Stand up paddle
Date
Départ le 24 juin 2016 – Arrivée le 3 juillet 2016.
Lieu
Départ de Port la Nouvelle (Coté méditerranée) Arrivée à Royan (Coté Atlantique)
Participant
Moi, ma board et ma pagaie.
Ou dormir/bivouaquer
Comme à mon habitude, que du bivouac au fil de l’eau…
Ou se restaurer
Je suis parti avec du lyophilisé, mais j’ai craqué quelques fois pour des guinguettes/restau croisés le long du canal du midi.
Ou Trouver de l’eau durant mon trip en paddle :
- Aux écluses (pour la partie canal)
- puis dans les épiceries de village le long des rivières.
Caractéristiques du Canal du Midi
Départ par la mer pour 600 km en ramant sur le canal du midi, la Garonne, l’estuaire de la Gironde jusqu’à l’océan.
Pourquoi ce projet du canal du Midi en Paddle
Je rame pour la beauté des paysages, par refus de la monotonie et pour me sentir libre. J’aime partir seule, pour le plaisir égoïste de savoir que tout dépend de moi. Je souffre parfois, mais l’envie d’y arriver est la plus forte. C’est ma façon de me sentir vivante. Et puis ce défi est tout un symbole, celui de relier les « deux mers » à la seule force des bras…
10 jours sur le Canal du Midi en stand up paddle
Si nous passons notre vie à attendre qu’il se passe quelque chose de particulier, la seule chose qui se passera, sera plus que probablement la vie elle-même.
Cette aventure est la mienne, la vôtre. Celle d’un individu comme tant d’autres.
Je suis ordinaire, je n’ai pas le talent nécessaire pour devenir sportif de haut niveau, ni l’intelligence suffisante pour être un grand chef d’entreprise, mais j’aime ramer et partir à l’aventure.
Je préfère les souvenirs aux regrets, c’est pourquoi je m’efforce de réaliser mes rêves, d’aller jusqu’au bout de mes idées.
Alors, je dédie ce périple à tous ceux qui auraient bien voulu, qui auraient peut-être pu, mais que la vie à enchainés…
Vendredi 24 juin, premier jour face au vent
Après un départ chaotique (dû à un fort vent) de la plage de Port La Nouvelle, me voilà sur le canal de la Roubine. Le vent n’a guère faibli et je le prends en pleine face. Je ne m’arrête pas, je rame toute la journée, j’en oublie même de déjeuner. Il fait très vraiment très chaud, le soleil cogne. Je sens que je n’avance pas aussi vite que prévu, mon objectif était de ramer à 6km/h, mais le vent m’en empêche. Je ne lâche rien.
On est en juin, Je me dis que les journées sont longues et que je ramerais plus longtemps demain pour rattraper mon retard. Je réalise aussi que je perds beaucoup de temps et d’énergie à chaque passage d’écluses et que je n’avais pas prévu cela dans mon timing…
La nuit tombe. Je n’ai pas atteint mon objectif. Seulement 45km ; mais ce n’est pas grave, je ramerais plus demain.
Je traverse Le Somail, magnifique port presque idyllique, pour y passer une nuitée champêtre, comme au temps du canal des Deux Mers.
Il y a beaucoup de touristes, je décide de m’éloigner. Cela fait plus de 10 heures que je pagaie. J’arrive à l’Aqueduc du Répudre. C’est très beau avec une vue magnifique sur toute la plaine. Ce lieu est paisible, presque hors du temps. Je décide d’y bivouaquer. Je m’enfonce dans le petit bois pour m’y cacher.
Epuisée, je jette mon matelas et mon sac de couchage au sol. Ce soir, je veux compter les étoiles. En réalité, je pense que je n’ai plus la force, ni le courage de monter ma tente, alors je me trouve un belle excuse …
Une rencontre durant mon bivouac
Me voilà dans un mi-sommeil. Soudain, j’entends les fougères bouger. « Cela doit être un lapin ? Ou un ragondin ? »…Puis cela se rapproche et là je me dis « Grid, bouge-toi, ouvre les yeux, c’est peut-être un être-humain, réagit !! »
Je me mets en position assise et me voilà nez à nez avec un sanglier. Eclairé par la lune, mes yeux se fixent sur ses cuisses. « My God ! Il est énorme ! ». Il est planté devant moi, au bout de mes orteils, et moi, j’ai les bras et les jambes coincés dans mon sac de couchage. Je ne peux même pas courir ou me lever, je suis comme un saucisson !
Je le regarde, il me regarde – Il me regarde, je le regarde – Bref, personne ne bouge.
Quel rigolade. Je rigole bêtement dans ma tête. Je pense aux copains qui m’envoient régulièrement des selfies avec des animaux divers et variés et là, je me dis que si j’en fais un avec ce sanglier, je remporte la palme du selfie !
Mais rapidement la situation me fait reprendre la raison. Je pousse un cri « Bouuuu !!!! », il recule à peine. Je sors brusquement de mon sac en hurlant, il finit par partir ainsi qu’une dizaine de sanglier qui était tous autour de mon campement…Wahouuu quel spectacle !!!
Les imprévus du bivouac
Je reste cependant intrigué sur le fait qu’ils n’aient pas eu peur de moi. Etant ardennaise, ils ont dû me prendre pour l’un des leurs. LOL.
Je me rendors. Quelques heures plus tard, c’est un orage qui aura raison de mon sommeil.
Je me prends une drache énorme. Je dégaine ma toile de tente et je la jette sur moi mais l’eau arrive par le sol, un ruisseau passe sur mon matelas. Constat, je suis trempée mais tellement épuisée, je poursuis ma nuit. On verra demain matin…
Samedi 25 Juin, traversée des écluses en paddle
6 heures. Je suis réveillée par le froid et l’humidité. Je replis, tout est trempé, tant pis. Il n’y a qu’une chose à faire pour me réchauffer : Ramer.
Le soleil est toujours là, et le vent aussi malheureusement !
A la sortie de certains virages, je me prends des rafales terribles que je me demande même si j’avance. Les premières ampoules commencent à apparaitre.
La traversée des écluses en paddle
Et c’est reparti pour les écluses !!! Et je les enchaine, une à une, dans le même rituel.
- Trouver l’endroit idéal pour sortir de l’eau, sans branches, sans racines, sans clou ou autres objets coupant qui pourraient percer mon Stand up paddle.
- Jeter un sac, puis le deuxième, puis la pagaie, accrocher le leash à mon poignée, m’extirper ? Escalader ce ponton fait pour l’amarrage des péniches (bien souvent à 1,5 mètres au-dessus du niveau de l’eau) puis sortir mon Stand up paddle.
- Marcher, porter, et 300 mètres plus loin, tout redescendre sur l’eau, dans le même ordre – une vraie routine.
Je trouvais que les écluses étaient une belle invention mais à partir de ce jour-là, je les ai détestés.
Il fait particulièrement chaud aujourd’hui et avec ce vent j’ai l’impression de ramer dans le désert. Et sur le sable, ça n’avance guère !
Fin de journée, je traverse un joli village (Trèbes) avec un bien joli petit port, animé. J’aperçois une pizzeria, l’appel est trop fort. Je succombe. Cela fait trop de bien.
Le ventre remplit, me voilà reparti en quête d’un endroit confortable où dormir. Je m’inquiète car je m’approche relativement près de Carcassonne et je me dis que plus je m’approche des villes et plus il y a du danger.
J’aperçois un petit bois entre des pâtures et le canal, avec en bruit de fond, le bourdonnement des voitures de la ville. Il est temps que je m’arrête, avant d’être trop près de la civilisation. Aucun accès pour accéder sur la berge. Grrrrrrr ! Ma première chute dans l’eau, épuisée de cette journée de 12 heures de rame, je glisse sur une racine et me retrouve pour un bain forcé et la nuit tombe !
Dimanche 26 juin direction Castelnaudary en paddle
Aux premières lueurs, c’est reparti ! J’ai toujours pour obsession de rattraper ces kilomètres que le vent et les écluses m’ont empêché de réaliser.
Je traverse Carcassonne. C’est assez rigolo de passer devant une gare en Stand up paddle. Et c’est reparti pour les écluses !!! Accoster au bon endroit, jeter un sac, puis le deuxième…Bref, vous connaissez maintenant la chanson…
Il y a toujours du vent. Je commence à m’interroger sur la possibilité de finir ce défi dans les temps que je me suis fixée. Je continue, j’y arriverais ! Même si je dois ramer jour et nuit.
Je suis au port de Bram, charmant village chargé d’histoire. J’aperçois un joli restaurant marin « L’ile aux oiseaux », je décide de m’y arrêter pour manger. Mon meilleur repas ! L’endroit était magnifique, très coloré et festif.
Je m’en souviens comme si j’y étais. Je commande des seiches à la plancha. Ça sentait si bon. J’ai planté ma fourchette dedans et mangé tel un animal, sans la découper, en croquant dedans à pleines dents. Sous les yeux effarée du patron qui me dit « Mais depuis combien de temps vous n’avez pas mangé ?! »…
Une heure est passée. Il faut y aller. La route est encore longue et les écluses nombreuses. J’arrive à Castelnaudary – La cité ne manque pas d’attraits avec son vaste bassin, le port le plus important du canal où il fera bon rêvasser après une journée de rame.
Lundi 27 juin direction Toulouse en paddle
J’ai un retard de 60 km sur mon prévisionnel. Ça donne un coup au moral mais je continue. Non pas la tête dans le guidon comme on dit, mais la tête dans la pagaie ! Mes blessures commencent réellement à me faire mal. Mes mains sont recouvertes d’ampoules et j’ai des brulures sur les jambes (dues aux coups de soleils et autres frottements de mon short) et cela commence à s’infecter.
Quelle belle surprise ! En fin d’après-midi, j’aperçois une tête qui ne met pas inconnu !
« J’espérais que tu passes ici à cette heure… »
Me dit Stéphane (Leblond) en souriant.
J’aime beaucoup Stéphane. Je eu la chance de le rencontrer lors d’une course au printemps dernier. C’est un homme simple, plein de bon sens, heureux de sa vie, c’est l’image que j’ai de lui. Je suis contente de le voir, il me donne un véritable coup de fouet. Nous ramons ensemble une dizaine de kilomètres. Arrivés à Castanet-Tolson, je continue ma route seule.
Toulouse se rapproche. Je m’inquiète encore une fois d’être trop près de la ville pour y bivouaquer en toute tranquillité. J’aperçois quelque arbustes, je décide d’y passer la nuit, à la belle encore une fois…pour y compter les étoiles.
Mardi 28 juin : Toulouse
Me voilà enfin à Toulouse. 200 KM et plus de 60 écluses dans les bras. J’attaque le deuxième tiers.
La traversée de Toulouse
La traversée de Toulouse n’est pas simple. Je suis en plein centre-ville, à sortir d’une écluse pour redescendre dans une autre. C’est très sale, entre les morceaux de verre et les seringues, je décide de traverser la ville à pied. Je tire mon Stand up paddle sur les passages piétons, entre les feux et les voitures, je zigzague entre les piétons. Quel stress ! Tant de voitures, de monde, d’odeurs suffocantes et de bruit ! Je ne me sens pas à ma place, malgré le fait que cela me fasse sourire de voir les gens me regarder bizarrement traverser leur ville.
Une voiture me klaxonne à tout va. C’est Jean-Paul Averty !! C’est lui qui est à l’origine de ce projet. Très occupé, il m’avait dit qu’il ne pourrait pas venir à ma rencontre, mais il est là ! Je reprends une énergie de folie en le voyant. On discute quelques minutes. Il m’aide à me remettre à l’eau.
Je sais que Jean-Paul doute de mes capacités à réaliser ce défi dans le temps que je me suis imparti. Je sais qu’il me trouve trop ambitieuse. Et le voir là, tout souriant me dire « T’as déjà fait un sacré bout, tu vas y arriver.. » me redonne la niaque, un truc de fou !
Direction la Garonne
La sortie de Toulouse est assez triste, je veux dire moralement. Toutes ces personnes, ces familles qui vivent sous les ponts, ça fait réfléchir. Une dernière écluse avant de rejoindre la Garonne. Deux petits roumains, sortis d’un de ces ponts, viennent me filer mains fortes. L’un parle français, l’autre non. Leur maman ne cesse de les appeler. Après quelques échanges je comprends que leur situation est illégale. J’échange un bout de leur sandwich contre quelques barres énergétiques. Le plus petit me pose beaucoup de questions, il est très intrigué sur mon périple et par mon véhicule flottant…
Cet été je suis repassé à Toulouse, mais je ne les ai pas vus. Je pense souvent à eux, nous avons pris une photo, je la regarde souvent…
Quelques fois, avec du recul, je me dis que j’aurais dû m’arrêter, prendre plus de temps pour eux, les aider, j’aurais peut-être dû, je ne sais pas.
Un peu plus loin, je ferais la connaissance de Damien Guilhot du Club local « BOCAStand up paddle ». Il me dirigera jusqu’à la Garonne et m’accompagnera pour quelques kilomètres de rame. Encore une belle rencontre !
Me voilà enfin seule, loin de tout, pagayant sur La Garonne, aidée par un léger courant.
Là je suis heureuse, il n’y a plus que moi, rien que moi et quelques ragondins.
La nuit se lève, ma maison du soir sera une petite plage boueuse ombragée de quelques arbres. Je monte ma tente, je m’offre le luxe d’un coucous royal lyophilisé. Puis, je fais une petite lessive au bord de la rivière. Je chante. Je fais quelques ricochés, je m’amuse à trouver quelques poissons sous les pierres, je suis au Paradis.
Mercredi 29 juin canal latéral de la Garonne et son barrage
J’ouvre les yeux. Première idée : « il faut aller ramer ». C’est comme un réflexe, je ne pense plus qu’à ça. C’est comme un automatisme. J’ai toujours en tête de rattraper ces kilomètres.
Ce matin je m’amuse, je rame d’un département à l’autre. En effet, si je reste à gauche du lit, je suis en Lot et Garonne, mais si je rame à droite de la rivière, je suis dans le Tarn et Garonne…je voyage très vite. LOL.
Au niveau de Moissac, la Garonne s’étend comme un lac immense. Il y a des signes blancs partout. Il est très tôt, une légère brume se lève. Tout est silencieux. C’est beau, c’est pur et reposant. C’est ici que la rivière Le Tarn se suicide dans la Garonne.
Rahhhh ! Un barrage électrique m’empêche de continuer sur La Garonne. Je dois ramer à nouveau dans un canal. Heureusement juste quelques mètres séparent cette rivière, du canal latéral de la Garonne.
Le canal latéral de la Garonne
Je suis reparti pour une vingtaine de kilomètres et ces satanées écluses. En fait, je n’aime pas le canal, car il y a trop de gens, trop de passage, trop de bruit. Les canaux sont souvent entourés de voies vertes, envahies de randonneurs, cyclistes ou autres sportifs, sans parler des péniches qui y circulent…
Je dois maintenant rejoindre la Garonne, pour cela je dois me jeter dans un ruisseau, qui passe sous le canal (le ruisseau de méjannebasse).
Il n’y a pas de chemin pour y descendre. Tout est envahi par des ronces et des feuillages. Des cyclistes me conseillent de continuer sur le canal jusque Castets-en-Dorthe (environ 150 kms plus loin). Mais je n’en fais qu’à ma tête, je sors mon couteau multifonction et une à une je coupe ces ronces, qui pourraient percer mon Stand up paddle et je passe une heure à me faire un chemin.
Ce ruisseau ne fait que quelques mètres de larges mais passe au milieu d’une foret verdoyante. Je slalome entre des rochers, des rapides, des cascades, je passe sous des arbres… Je me sens comme Indiana Johns, c’est juste magique ! Et Hop ! Me voilà à nouveau dans La Garonne !
Ce soir, j’ai prévu de retrouver une amie à Agen (Nathalie de Canal Friends). Mais un obstacle de taille de dresse devant moi. Obstacle dont j’ignorais l’existence. Je suis face au barrage de Beauregard. Situé environ à 4 km en amont du pont canal d’Agen, ce barrage s’étire sur une longueur de 160m. A l’abandon depuis des années, le barrage est aujourd’hui dans un triste état. Il ne reste que le soubassement, des vestiges de maçonnerie et de ferrailles, le tout est très dangereux.
Face au barrage
Le courant commence à m’emporter, je rame de toutes mes forces pour rejoindre la berge la plus proche. J’aimerais le contourner mais passer par la foret est impossible à cause de la boue. J’observe, j’analyse, je réfléchie. Je vais rester là, bien une demi-heure, à me poser toute une série de question. Il y a des murs de chaque côté, donc infranchissables. Seuls quelques mètres effondrés du barrage laisse passer La Garonne, je vous laisse imaginer la puissance et le débit à cet endroit. Ça bouge dans tous les sens.
OK, pas d’autre solution. Il faut y aller. Je sors mon gilet de sauvetage. Je renforce les sangles qui maintiennent mes sacs à la planche. J’accroche mon leash en haut de mon bras et je m’entraine plusieurs fois à l’arracher. J’ai franchement peur, il faut le dire.
Je me mets à genou et je me cramponne aux poignées qui se trouvent de chaque cote. Honnêtement je ne sais même plus si j’ai gardé les yeux ouverts, mais en tout cas j’ai crié, bin oui, comme une fille en plus ! LOL.
Yihaaa ! Je suis passée, sans tomber, je n’en reviens pas. Je danse et je chante dans ma tête « j’ai réussi, j’ai réussi, trop forte, yes ! yes ! yes ! Je suis toujours en vie !» Oui, là, je peux le dire :
« J’ai assuré grave ».
Mais je suis à la bourrer grave, Nathalie m’attends et je n’ai aucun moyen de la contacter.
J’arrive à Agen vers 22h. Il commence à faire nuit. J’ai ramé plus de 85 km aujourd’hui. J’ai rattrapé mon retard ! Nathalie est devant le fameux pont canal de la ville, soulagée de me voir. Nous partagerons un bon pic-nic et je passerais ma nuit devant ce décor magnifique.
Jeudi 30 Juin, direction Couthure
Départ aux premiers rayons de soleil. Je fais le plein d’eau car sur la Garonne je ne suis pas sûre d’en trouver. Au fil de l’eau je croise au loin quelques villages. Le débit est vraiment irrégulier, quelques fois j’ai l’impression d’être sur un lac, mais ce côté sauvage et désertique de tout être humain n’est qu’un pur bonheur. C’est marrant car tout l’hiver j’ai attendu pour faire l’ascension du pic d’Aneto en Espagne. C’est là où nait La Garonne et aujourd’hui je rame dessus pendant des heures.
En fin d’après-midi, j’arrive à Marmande où a lieu le festival de musique Garorock. Les berges sont envahies par les fêtards. Je continue ma route jusque Couthure/Garonne où un ami, Julien (Rhodes), m’y attend, nous partagerons un bon et copieux repas.
Vendredi 1 juillet à la port de Begles
Direction Bordeaux !
A Castet en Dorthe, je commence à ressentir l’effet de la marée.
Sur des kilomètres, je contemple ces maisons sur pilotis, et toutes ses cabanes de pécheurs en tout genre. J’adore ces lieux, entre mi- mer et mi-rivière.
Je regarde ma montre, je sais que la marée va basculer et commencer à remonter. Mais je joue la montre. Tant que je peux avancer, j’avance. Je ne sais pas comment est la marée dans une rivière. Bim ! Je n’avance plus, je recule même ! Et bien maintenant, je sais à quoi ça ressemble ! C’est puissant !
Sur quelques kilomètres, je longe les berges pour avoir moins de courant, mais je risque de crever mon Stand up paddle gonflable sur un arbre mort. Je pourrais rejoindre la berge habitée et animée de l’autre côté, mais je n’ai pas envie de quitter l’eau. J’accroche mon leash à un tronc mort et j’attends sur l’eau que la marée redescende. Je bouquine, je me prépare un bon repas, j’aurais pu me faire une manucure et une pause de vernis, mais je n’en ai pas emmené ! Dommage 😉
Quelques heures plus tard, me voilà reparti avec la marée descendante. Je poursuis ma navigation jusqu’au port de Begles où l’on m’a conseillé de planter ma tente. Pour rentrer dans ce port, il faut prendre la Garonne à contre-courant. C’est sport ! J’arrive juste à la tombée de la nuit et il pleut. Je décide de m’installer dans le carré extérieur d’un bateau pour être à l’abri. Plus je me rapproche de l’Océan, plus les nuits sont fraiches.
Samedi 2 juillet l’Estuaire durant l’ascension en stand up paddle
Départ vers 6h, à la fraiche, pour être en harmonie avec la marée descendante. Je suis un peu inquiète car aujourd’hui j’attaque l’estuaire de la Gironde. Il parait que cela est dangereux, entre la marée, les courants et les gros paquebots. Ça va être impressionnant.
Je traverse Bordeaux avec émerveillement, c’est beau vu de ce côté. Je longe les docks, je me sens vraiment minuscule à coté de tous ces cargos. A chaque fois que j’en approche un, je prie pour qu’il me voie !. Ça serait quand même bête d’avoir ramé autant pour finir sous un gros bateau à moteur !
Le vent se lève. Quand ça souffle ici, ça souffle ! J’arrive au Bec d’Ambés, c’est ici que la Dordogne rejoint La Garonne pour former l’estuaire de la Gironde, le plus vaste de France.
Et c’est là aussi que les choses se compliquent. Le vent, plus l’arrivée de La Dordogne, ça secoue et ça bouge. Les vagues passent au-dessus de mon Stand up paddle. Je rame de toutes mes forces, j’ai vraiment du mal à avancer. Je surfe difficilement quelques vagues. Alors, je décide de traverser La Dordogne à sa base et de longer les berges à droite de l’Estuaire.
Les difficultés de cette traversée en stand up paddle
Je galère pas mal, le vent est fort. Je puise mon énergie sur le fait que je ne peux pas m’arrêter en pleine marée descendante. J’arrive péniblement à Blaye. Epuisée, je m’y arrête pour le repas de midi, et de plus il faut bien que j’aille y gouter un bon vin ! C’est la première fois que je ferais une sieste en pleine après-midi.
17H, la marée va basculer. Il faut repartir. Je suis soucieuse, le vent n’a pas faibli. Un marin du coin me dit de ne pas partir, que le vent va se renforcer. Je le vois bien, mais je veux quand même gagner quelques kilomètres.
La houle
Ce soir-là, sera une vraie galère. La houle s’est formée, j’ai eu le mal de mer, mon repas de midi a nourri les poissons. Même la centrale nucléaire de Blayais a eu pitié de moi et m’a laissé effleurer sa rive alors qu’il faut s’y tenir à 300 mètres au large. La nuit est arrivée, l’eau est descendu avec la marée, impossible de rentrer dans un de ces petits ports, il ne restait que de la vase et de la boue.
Je suis au milieu de l’Estuaire, il commence à faire nuit et je ne peux plus accoster. Et quand la marée va remonter, comment vais-je faire ?
« Arrêtes de te poser des questions, tant que cela descend, rame, tu verras après ! »
Voilà ce que je me dis en sortant ma frontale.
Et soudain, j’aperçois un ponton flottant, je suis sauvée, enfin ma nuit surtout ! Il n’est pas bien large ce ponton, juste de quoi y poser mon Stand up paddle et m’y allonger. Je n’ai pas intérêt à rouler, sinon Plouf ! Il y a toujours du vent, j’enfile tous les vêtements qui traine dans mon sac, ça caille.
L’arrivée à la plage de Royan
Départ à 7h ce dimanche 3 Juillet avec la marée. La nuit a été courte et fraîche. Il me reste une cinquantaine de kilomètres pour atteindre l’Océan et les plages de Royan. Je croise quelques bateaux et gros ferrys. La cote est très belle. Il y a des maisons troglodytes dans les falaises. C’est magnifique. Je m’efforce de ramer vite, je ne veux pas me faire surprendre par la marée, sinon je vais devoir attendre ce soir pour arriver…
Et puis soudain au loin, j’aperçois la plage de Royan. C’est fini, c’est le dimanche 3 juillet, il est un peu plus de midi. Le Défi Med/Océan s’achève là à la sortie de l’Estuaire. 600km en un peu moins de 10 jours. Il ne me reste que quelques mètres à parcourir pour rejoindre cette plage. Je reste un peu stupidement là, bras ballants, n’osant ramer, n’osant imaginer que demain je n’aurai plus à ramer, qu’à rentrer à Montpellier.
Je souris avec un peu de retenue, comme si je ne réalisais pas que le voyage allait s’arrêter là. Le vrai voyageur n’a pas le désir d’arriver, ni de rentrer chez soi. Et si je continuais ?…
Il me faut quelques minutes pour reprendre la raison…
Il va falloir maintenant me réhabituer à la vie normale, celle de tous les jours, retrouver les bons mots et les gestes d’une maman – un autre genre de défi – certainement le plus dur pour moi – attendant le prochain, auquel je pense déjà…
Conclusion de l’ascension en Stand up paddle
Sur ces rivières, ces 10 jours ont été un prisme de vie, un concentré d’émotions. J’ai vécu : la peur, la douleur, la déception, le désespoir, la joie, l’euphorie et la rage…et le bonheur avec une intensité surmultipliée.
J’ai vu tout ce que je voulais voir, vécu tout ce que je voulais vivre, appris à gérer la déception et les erreurs comme des éléments inévitables de toute trajectoire, affuté mon sens des priorités. Chaque jour, j’ai appris quelque chose. Je suis revenu une autre, un peu plus heureuse de vivre avec moi-même et avec autrui.
Je peux désormais répondre, quand on me demande pourquoi je fais ce que je fais : Parce que, pour moi, repousser ses limites est la seule manière de se connaitre mieux et de progresser humainement.
Aujourd’hui, je suis revenu chez moi, mais c’est en moi-même que j’ai fait le plus long chemin. Après ces 10 jours, tous ces efforts, toute cette souffrance, je n’ai envie de dire qu’une chose « Je suis heureuse d’être en vie ».
La phrase à retenir de ce périple en stand up paddle
Mon ami Gilles Lelievre (ancien champion du monde de Kayak et vainqueur de Raid Gauloise) avait quelques jours d’avance sur moi sur le canal du midi lors de son tour de France en Kayak. Un soir il m’appelle et me dit :
« Tu verras sous un pont après Carcassonne, il y a un message pour toi… »
Gilles Lelievre
Voilà ce que j’ai pu y lire :
« SEULS LES POISSONS MORTS SUIVENT LE COURANT… »
A méditer…
Ingrid.
Matériels utilisés pour cette ascension en Stand up paddle
Voici un article conseil pour vous aider à choisir votre paddle :
CATÉGORIE | NOM DU MODELE | MARQUE | POURQUOI CE CHOIX? | EST CE QUE CE CHOIX A RÉPONDU À MES ATTENTES? | SI C’ÉTAIT À REFAIRE… |
TENTE | 4 saisons ½ place | VAUDE | Petite et légère | oui | Aucune tente mais un Tarp car plus léger |
MATELAS | Prolite plus | THERMAREST | Confortable 4 saisons | oui | oui |
SAC DE COUCHAGE | Forclaz light 15° | DECATHLON | Leger et petit | Non car froid | Plus chaud |
RÉCHAUD | JETBOIL Zip | JETBOIL | Compact et rapide | oui | Le même |
STAND UP PADDLE | Couine marie | GONG | Robuste | oui | Le même |
PAGAIE | 7’ carbone | GONG | Légère | oui | La même |
SAC À DOS POCHE À EAU | 1,5l | CAMEL BAG | Petit + rangement | Difficile à remplir | Poche à eau plus volumineuse |
LAMPE | Frontale étanche | BLACK DIAMOND | étanchéité | oui | La même |
12 commentaires
Tu déchire ! RESPECT !
Bravo Ingrid !
Quand tu dis que je ne croyais pas en ta capacité à réussir, ce n’est pas exactement ça.
Te voyant déterminée dès le départ, je ne m’inquiétais pas sur ta motivation. En revanche, j’ai donné beaucoup plus d’importance à la préparation logistique que tu ne l’as fait pour ton périple et dans mon aventure, n’ai finalement pas été trop surpris…
Te concernant, j’avais juste peur que tu te fasses surprendre par des aléas non imaginés. C’est la raison pour laquelle tu as pu ressentir de l’inquiétude de ma part.
J’espérais que tu le fasses jusqu’au bout et tu l’as fait. Je dirais que je suis admiratif de tout ce que tu entreprends et réussis depuis, d’ailleurs !!!
Bravo et continue, même si tu vas me rendre jaloux, à un moment (à mendoné…) ! ;-)))
A bientôt,
JPaul
génial. …
Bravo, bravo et bravo. Suis fier de te connaître 🙂
Wouah ! Bravo Ingrid, tu m’as bluffée. Belle leçon de courage et de dépassement de soi. Tu m’as presque donnée envie d’en faire autant !
Encore bravo.
Bisous
Co
Excellent, je vous envie mais en formule » challenge » ? Félicitations
Bravo Ingrid, Merci pour ton récit, ça m’a conforté sur un projet similaire
Bravo Ingrid! Un gland n’aurait pas dépassé la rencontre des sangliers. Tu n’en es pas un!
Bise
Super Bravo ! un réel plaisir à lire et imaginer ! je suis surpris de la rapidité de ce parcours, ça donne vraiment envie … merci et bonne continuation
Un grand bravo aussi bien dans ta performance physique que sur le délai de dix jours, respect. Merci de nous avoir fais vivre ton aventure avec tes mots et photos, qui donnent envie car se retrouver seul face à la nature peu faire un bien fou, retour au source. Je souhaiter faire en juin ou septembre un tronçon du canal du midi ou autre sur une semaine, de voir le plaisir que tu a pris me motive et valide mon projet. Encore bravo et content d’avoir suivi ton aventure étant moi même un Supeur en simple ballade mais surtout en vagues. SPORTIVEMENT Lionel
? merci Ingrid, je compte faire le canal de Nantes à Brest en autonomie avec mon Sup sur 10 jours et ce témoignage me réchauffe le coeur. Plein d’infos et de conseils, j’ai trop hâte.
Merci ?
C’est ENORME !!! Bravo à toi, tu ouvre la voie aux autres et démontre que tout est possible quand on le veut. RESPECT INGRID !!!